Le droit des patients à l’oubli et à la non-discrimination. Des avancées significatives
Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
Décrets n° 2017-173 du 13 février 2017 et n° 2017-147 du 7 février 2017
Le temps qui passe engendre l’oubli … et peut déclencher la création ou l’extinction de droit
La question est cruciale lorsqu’il s’agit de retracer la biographie d’une personne ayant été atteinte d’une pathologie lourde et qui souhaite obtenir une assurance dans le cadre d’un emprunt. L’oubli consiste ici dans le droit à garder le silence auprès de son assureur sur cet événement. Et avant l’oubli, celui de ne pas subir un sort discriminatoire.
Il est avéré que les personnes ayant été guéries d’un cancer quel qu’il soit et quel que soit l’âge auquel il a été contracté sont, en tant que « personnes à risque », placées dans une situation défavorable en matière d’emprunts bancaires et de produits d’assurance emprunteur. Les chiffres sont parlants, ainsi, « en 2012, 32 % des personnes en ALD ont été confrontées au refus d’assurance pour raisons de santé, 35 % ont reçu une proposition d’assurance avec exclusion de certaines garanties et 28 % avec une surprime » (Plan Cancer 2014-2019, Guérir et prévenir les cancers: donnons les mêmes chances à tous, partout en France).
Le droit commun n’offre pas de garantie spécifique contre les discriminations liées à une pathologie.
Le patient candidat à une assurance est soumis à une obligation de déclarer ses antécédents médicaux (art. L. 113-2, 2° Code assurances lien) dont le secret médical ne saurait le dispenser (v. Cass. 1re civ., 3 janvier 1991, n° 89-13.808 actualiser jup). La connaissance de cet élément l’expose alors à être exclu de l’assurance ou contraint de souscrire à des conditions plus défavorables.
L’arsenal répressif français contient des moyens de lutte contre cette forme d’inégalité de traitement(art 225-1 et 225-2 du Code pénal lien).
Mais la protection instaurée par le Code pénal n’est toutefois que relative dans la mesure où sont l’article 225-3 du Code pénal (lien ) édicte que «les dispositions de l’article précédent ne sont pas applicables « aux discriminations fondées sur l’état de santé, lorsqu’elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité ».
Un système conventionnel assurantiel propre aux situations de risque aggravé – AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) permet de prendre en compte la situation particulière des patients et ex patients sur le marché de l’assurance.
Signée entre l’État, les fédérations professionnelles des secteurs de la banque et de l’assurance et les associations de consommateurs ou de personnes présentant un risque de santé aggravé, la convention a pour objet d’élargir l’accès à l’assurance et à l’emprunt.
Son objet est de limiter les exclusions et réduire les surprimes, tout en simplifiant les démarches et en améliorant l’information des personnes concernées. L’enjeu est également de faire évoluer l’appréciation du risque par les assureurs pour les personnes ayant été atteintes d’un cancer.
Cette convention nationale – conclue entre l’État, les organismes de crédit et d’assurance et les associations de malades – bénéficie de plein droit à toute personne présentant du fait de son état de santé ou de son handicap un risque assurantiel aggravé (art L. 1141-2 du Code de la santé publique lien).
Mais ce dispositif reste discriminant à l’égard des anciens malades.
Les choses ont évolué récemment, à la faveur d’une réforme engagée en 2015, consacrée en 2016 et aboutie en 2017 qui assure aux patients ayant été atteints d’un cancer une meilleure protection contre les discriminations. Mais il reste encore du chemin à faire, notamment parce que toutes les pathologies graves ne sont pas visées et parce que ce droit n’est pas un rempart absolu contre des risques de discriminations indirectes.
Pour cerner le droit en vigueur, il convient de bien distinguer, d’une part le droit à l’oubli c’est-à-dire le droit, passé un certain délai à ne pas déclarer une pathologie cancéreuse et d’autre part le droit pour les patients ayant été atteints de pathologies graves, à ne pas subir, sous certaines conditions, une surprime ou une exclusion de garantie
La reconnaissance d’un droit à l’oubli
Dès 2015 (le 2 septembre 2015), la convention AERAS a été révisée afin d’intégrer le « droit à l’oubli » pour les anciens malades du cancer. La signature de la convention révisée par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, le 2 septembre 2015, marque une avancée majeure pour les demandeurs d’assurance ayant affronté une pathologie cancéreuse.
Puis le « droit à l’oubli » a fait son entrée dans le Code de la santé publique par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (art. L. 1141-5 du CSP lien). Désormais passé un certain délai le patient a le droit de ne pas déclarer son ancienne pathologie.
L’article 1141-5 indique que « La convention prévoit également les délais au-delà desquels aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses ne peut être recueillie par les organismes assureurs dans ce cadre » et précise que «Dans tous les cas, le délai au-delà duquel aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses ne peut être recueillie par les organismes assureurs ne peut excéder dix ans après la date de fin du protocole thérapeutique ou, pour les pathologies cancéreuses survenues avant l’âge de dix-huit ans, cinq ans à compter de la fin du protocole thérapeutique » en ajoutant que « Ces modalités et ces délais sont mis à jour régulièrement en fonction des progrès thérapeutiques et des données de la science ».
Aujourd’hui le droit à l’oubli est établi par la convention AREAS dans les termes suivants
Lors d’une demande d’assurance de prêt, est établi le droit de ne pas déclarer un ancien cancer :
Lorsqu’il a été diagnostiqué avant l’âge de 18 ans, que le protocole thérapeutique est terminé depuis 5 ans et qu’aucune rechute n’a été constatée ;
Lorsqu’il a été diagnostiqué après l’âge de 18 ans, que le protocole thérapeutique est terminé depuis 10 ans et qu’aucune rechute n’a été constatée.
Le droit du patient ayant souffert d’un cancer (ou de certaines autres pathologies) de ne pas subir, dans certaines conditions, une surprime ou une exclusion d’assurance.
La loi de 2016 formalise également, dans certaines conditions, à l’article art. L. 1141-5 du CSP (lien) un droit des patients, qui ne peuvent pas encore bénéficier du « droit à l’oubli », de ne pas subir un traitement discriminatoire en matière d’accès à l’assurance.
Il y est ainsi prévu que « La convention nationale mentionnée à l’article L. 1141-2 détermine les modalités et les délais au-delà desquels les personnes ayant souffert d’une pathologie cancéreuse ne peuvent, de ce fait, se voir appliquer une majoration de tarifs ou une exclusion de garanties pour leurs contrats d’assurance ayant pour objet de garantir le remboursement d’un crédit relevant de ladite convention » et précisé que « Sur la base des propositions établies et rendues publiques par l’institutmentionné à l’article L. 1415-2, la liste des pathologies et les délais mentionnés au premier alinéa du présent article sont fixés conformément à une grille de référence, définie par ladite convention, permettant de fixer, pour chacune des pathologies, les délais au-delà desquels aucune majoration de tarifs ou d’exclusion de garantie ne sera appliquée »
Cette grille est proposée par un groupe de travail paritaire (médecins d’assurance, représentants d’associations, agences de l’Etat travaillant dans les différents domaines abordés), elle résulte de l’examen des données scientifiques les plus récentes, présentant le meilleur niveau de preuve disponible. Elle est ensuite soumise à l’approbation de la Commission de suivi et de propositions AERAS. Elle a vocation à évoluer dans le temps au fur et à mesure des travaux du groupe, et de la publication de données scientifiques conduisant à la prise en compte des innovations thérapeutiques. Précisons qu’elle ne vise pas exclusivement le cancer. Lien tableau de référencement
Les garanties d’application du dispositif. L’apport des décrets de 2017
Afin d’assurer l’effectivité du « droit à l’oubli » et sa connaissance par l’assuré, le décret n° 2017-173 du 13 février 2017 précise les modalités d’information des candidats à l’assurance emprunteur lorsqu’ils présentent du fait de leur état de santé ou de leur handicap un risque aggravé ?
Le décret prévoit l’élaboration d’un document d’information informant le candidat à l’assurance des conditions et des délais dans lesquels il peut exercer son « droit à l’oubli » (art. D. 1141-2, I CSP Lien). En application de ces mesures, l’assureur devra obligatoirement remettre le document d’information à chaque candidat à l’assurance ayant pour objet le remboursement d’un crédit relevant de la convention nationale Aeras.
Ce nouveau formalisme informatif devra être effectué par l’assureur avant la souscription de la police d’assurance et simultanément à la remise du formulaire de déclaration requis par l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances.
En outre, un arrêté du 10 mai 2017 fixe le contenu du document remis aux candidats à l’assurance-emprunteur. Lien vers l’arrêté
En complément de l’information mise en place par le décret du 13 février 2017, le décret n° 2017-147 du 7 février 2017 édicte un dispositif de sanctions applicables aux organismes assureurs pour non-respect des dispositions de l’article L. 1141-5 du Code de la santé publique figurant à l’article R. 1141-1 CSP Lien
Le décret du 7 février 2017 confie le respect et l’application du « droit à l’oubli » au pouvoir disciplinaire de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) assorti d’un pouvoir de sanction.
Cette disposition est essentielle car, en ce qu’elle ne livre pas l’efficacité du dispositif de protection à la bonne volonté et aux bonnes pratiques des organismes d’assurance.
Aude ROUYERE
Professeur Agrégé des Facultés de Droit
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